
Un chercheur français dépouillé et tué par un gang fin janvier à Mexico, un patron de discothèque enlevé à Cancun quelques jours plus tard par un gang qui réclame deux millions de dollars... Au Mexique, les «noticias rojas», ces articles qui relatent les crimes et les kidnappings, s'étalent quotidiennement dans les journaux. En août dernier, le meurtre de Fernando Martí (14 ans), dont la famille possède une chaîne de magasins de sport, a déclenché l'indignation dans tout le pays et même mis le Mexique à la une des quotidiens européens. Le garçon, kidnappé lors d'un faux barrage de police à Mexico, est tué, malgré le versement par la famille d'une importante rançon.
Toutes les régions sont touchées, toutes les catégories de la population, les riches comme les pauvres. En 2008, la situation est alarmante. Près de 1.000 personnes ont été enlevées selon les chiffres officiels, soit une augmentation de 128% par rapport à 2007. Il y en aurait en réalité trois à quatre fois plus.
Si le Mexique dépasse désormais la Colombie et l'Irak au titre de champion du monde des séquestrations, c'est aussi parce que on y kidnappe aussi pour 200 dollars. C'est le kidnapping express, un business très rentable qui attire la petite délinquance. Le principe est simple : soutirer le maximum d'argent à la victime en quelques heures, avant de la relâcher.
Marta Alcocer, 40 ans, a accepté de me raconter son rapt express, survenu il y a trois mois. Nous sommes retournées sur les lieux, une autoroute en périphérie de Mexico: «J'ai passé le virage et soudain j'ai vu deux hommes cagoulés, l'un braquait un pistolet sur moi, je me suis dit "oh non c'est pas possible"... Comme je tentais de m'enfuir, ils m'ont tiré dessus». Le butin de l'opération est maigre pour les ravisseurs: un ordinateur et quelques poignées de pesos, l'équivalent de 40 euros environ. Ils prennent la fuite, le kidnapping aura duré en tout deux heures. Marta dépose plainte, mais la police ne l'aidera jamais à retrouver ses ravisseurs.
Kidnapping express ou virtuel
La plupart des kidnappings express se déroulent la nuit, selon un scénario bien établi. Qui commence par le vol d'un taxi pirate (un tiers des 100.000 taxis mexicains sont pirates) pour quelques heures. Puis le chauffeur fait croire à une panne et s'arrête dans une rue où sont cachés ses complices. Qui montent alors dans le taxi et menacent le client avec une arme. Les membres du gang font ensuite la tournée des distributeurs pour vider son compte bancaire, avant de le relâcher, n'hésitant pas à le mutiler.
Dans un taxi sécurisé, à Mexico. Les plaques d'immatriculation des taxis pirates comportent 3 chiffres suivis de 3 lettres.
Il existe une autre forme de kidnapping, plus machiavélique: le kidnapping virtuel. Les ravisseurs font croire par téléphone à deux proches (une mère et sa fille par exemple), simultanément, qu'elles ont été séquestrées. Pour preuve, ils leur font entendre un faux enregistrement appelant au secours. Pris de panique, les deux vont livrer une rançon, mais elles ne peuvent pas se contacter car elles sont maintenues en permanence au téléphone par leurs ravisseurs. Plusieurs heures d'angoisse, avant de comprendre qu'elles n'ont jamais été «enlevées». Ces kidnappings sont rarement dénoncés ou sont classés dans la catégorie vol ou extorsions.
L'implication de la police dans la quasi totalité des rapts
Les bandes organisées qui pratiquent le kidnapping infiltrent en effet les forces de police. Selon Max Morales, négociateur privé en enlèvement, «dans 80% des enlèvements, un policier ou un ancien policier est impliqué». L'affaire Fernando Martí est emblématique. Une commandante en chef de la police judiciaire de la ville de Mexico et deux policiers sont arrêtés dans le cadre de l'enquête. Les policiers feraient partie d'une bande composée de flics véreux appelée «la flor» (la fleur). Ils ont été relâchés depuis, faute de preuves.
Kidnapping et narcos

A l'époque, son cas est l'un des plus médiatisés. Elle mène un combat acharné, allant même jusqu'à coller des affiches partout dans la capitale pour offrir des récompenses à qui pourrait l'aider. «Les assassins d'Hugo, nous les avons tous retrouvés et fait arrêter nous-mêmes, sauf un qui est en fuite.

Des centaines de Mexicains se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes. Ils préfèrent ne pas prendre le risque de dénoncer le délit à la police et négocier discrètement avec les ravisseurs, parfois avec l'aide d'un négociateur privé. Selon Samuel Gonzalez, l'ancien chef de l'Unité contre le crime organisé, il est impossible de dissocier narcotrafic et kidnapping. «Les narcotrafiquants ont besoin de protection, et ils engagent des durs: des anciens de la police ou de l'armée, ou des kidnappeurs. Ils achètent ensuite la police municipale afin de pouvoir opérer à leur guise sur le territoire». Ainsi, les policiers livrent des informations aux gangs, lorsqu'ils ne leur octroient pas directement une protection.
Une force de police pour rien
Plusieurs rapports récents, élaborés par des services de renseignement militaires et civils, sont accablants : 62% des 450.000 policiers auraient été soudoyés par les cartels. Pas plus tard que le 7 février dernier, le chef de la police de Cancun est incarcéré: la police municipale aurait été infiltrée par les cartels de la drogue.
Felipe Calderón a déjà admis que la police et l'honnêteté ne faisaient pas bon ménage au Mexique. Mais le président mexicain, qui a présenté la lutte contre le crime organisé comme sa priorité, est aujourd'hui au pied du mur. Les gouverneurs de tout le pays se sont réunis à Mexico en septembre dernier pour annoncer un plan en 74 points. Les peines de prison doivent être renforcées pour les kidnappeurs, la formation des forces de l'ordre doit être améliorée, et une nouvelle unité anti-kidnapping doit voir prochainement le jour, avec 300 policiers triés sur le volet.
Néanmoins, rien ne garantit que ces policiers seront plus fiables que ceux des précédentes unités. Le vice ministre de la sécurité publique affirme qu'ils passeront des examens de confiance au cours desquels leur fiabilité sera évaluée. Mais l'efficacité de la méthode reste à prouver... Elena Morera, de l'association «Mexico Unido contra la Delincuencia», est formelle: il faut avant tout que les polices des différents Etats du Mexique travaillent de manière coordonnée, et qu'il existe un véritable processus de sélection : «Aujourd'hui un policier peut être renvoyé de son unité, se présenter le lendemain dans un autre Etat du pays et être recruté à nouveau comme policier, sans que personne ne sache pourquoi il a été renvoyé ou condamné».
Publié sur Slate.fr