dimanche, mars 15, 2009

LE MEXIQUE, eldorado du kidnapping


Un chercheur français dépouillé et tué par un gang fin janvier à Mexico, un patron de discothèque enlevé à Cancun quelques jours plus tard par un gang qui réclame deux millions de dollars... Au Mexique, les «noticias rojas», ces articles qui relatent les crimes et les kidnappings, s'étalent quotidiennement dans les journaux. En août dernier, le meurtre de Fernando Martí (14 ans), dont la famille possède une chaîne de magasins de sport, a déclenché l'indignation dans tout le pays et même mis le Mexique à la une des quotidiens européens. Le garçon, kidnappé lors d'un faux barrage de police à Mexico, est tué, malgré le versement par la famille d'une importante rançon.

Toutes les régions sont touchées, toutes les catégories de la population, les riches comme les pauvres. En 2008, la situation est alarmante. Près de 1.000 personnes ont été enlevées selon les chiffres officiels, soit une augmentation de 128% par rapport à 2007. Il y en aurait en réalité trois à quatre fois plus.

Si le Mexique dépasse désormais la Colombie et l'Irak au titre de champion du monde des séquestrations, c'est aussi parce que on y kidnappe aussi pour 200 dollars. C'est le kidnapping express, un business très rentable qui attire la petite délinquance. Le principe est simple : soutirer le maximum d'argent à la victime en quelques heures, avant de la relâcher.

Marta Alcocer, 40 ans, a accepté de me raconter son rapt express, survenu il y a trois mois. Nous sommes retournées sur les lieux, une autoroute en périphérie de Mexico: «J'ai passé le virage et soudain j'ai vu deux hommes cagoulés, l'un braquait un pistolet sur moi, je me suis dit "oh non c'est pas possible"... Comme je tentais de m'enfuir, ils m'ont tiré dessus». Le butin de l'opération est maigre pour les ravisseurs: un ordinateur et quelques poignées de pesos, l'équivalent de 40 euros environ. Ils prennent la fuite, le kidnapping aura duré en tout deux heures. Marta dépose plainte, mais la police ne l'aidera jamais à retrouver ses ravisseurs.

Kidnapping express ou virtuel

La plupart des kidnappings express se déroulent la nuit, selon un scénario bien établi. Qui commence par le vol d'un taxi pirate (un tiers des 100.000 taxis mexicains sont pirates) pour quelques heures. Puis le chauffeur fait croire à une panne et s'arrête dans une rue où sont cachés ses complices. Qui montent alors dans le taxi et menacent le client avec une arme. Les membres du gang font ensuite la tournée des distributeurs pour vider son compte bancaire, avant de le relâcher, n'hésitant pas à le mutiler.

Dans un taxi sécurisé, à Mexico. Les plaques d'immatriculation des taxis pirates comportent 3 chiffres suivis de 3 lettres.

Il existe une autre forme de kidnapping, plus machiavélique: le kidnapping virtuel. Les ravisseurs font croire par téléphone à deux proches (une mère et sa fille par exemple), simultanément, qu'elles ont été séquestrées. Pour preuve, ils leur font entendre un faux enregistrement appelant au secours. Pris de panique, les deux vont livrer une rançon, mais elles ne peuvent pas se contacter car elles sont maintenues en permanence au téléphone par leurs ravisseurs. Plusieurs heures d'angoisse, avant de comprendre qu'elles n'ont jamais été «enlevées». Ces kidnappings sont rarement dénoncés ou sont classés dans la catégorie vol ou extorsions.

L'implication de la police dans la quasi totalité des rapts

Si l'industrie du kidnapping est devenu, avec la violence liée au narcotrafic, le problème numéro un des autorités mexicaines, c'est aussi parce ces autorités sont bien en peine de le résoudre. Dans la quasi-totalité des réseaux d'enlèvements démantelés au cours des dernières années, des policiers en service ou d'anciens policiers sont en effet impliqués. Pour Samuel Gonzalez, ancien chef de l'Unité contre le crime organisé (UEDO), «au Mexique, le problème démarre vraiment en 2003, lorsque le kidnapping se développe dans les groupes de délinquance. Les kidnappings commencent à être pratiqués en bandes organisées, puis s'étendent à des groupes de policiers, et aujourd'hui certains kidnappings sont liés aux groupes de narcotrafiquants».

Les bandes organisées qui pratiquent le kidnapping infiltrent en effet les forces de police. Selon Max Morales, négociateur privé en enlèvement, «dans 80% des enlèvements, un policier ou un ancien policier est impliqué». L'affaire Fernando Martí est emblématique. Une commandante en chef de la police judiciaire de la ville de Mexico et deux policiers sont arrêtés dans le cadre de l'enquête. Les policiers feraient partie d'une bande composée de flics véreux appelée «la flor» (la fleur). Ils ont été relâchés depuis, faute de preuves.

Kidnapping et narcos

Isabel Wallace (photo), Mexicaine et ancienne professeur d'université, a vécu une histoire similaire. Son fils Hugo a été enlevé et tué par un gang dont le cerveau était un lieutenant de police. «Lorsque mon fils a disparu, j'ai commencé à enquêté puis j'ai appelé la police, et chose absurde, elle n'a rien fait. Très vite, je me suis aperçue que César Freyre, le chef du gang, avait beaucoup d'amis dans la délégation de police de Mexico». Elle doit donc mener l'enquête seule et se transforme en détective privé. Quand je la rencontre à Mexico, trois ans après l'enlèvement de son fils, Isabel Wallace vit toujours plongée dans son enquête. Sa maison est devenue un vrai service de renseignement: elle a affiché au mur la photo de tous les assassins de son fils ainsi qu'une chronologie de son enquête, avec photos, demande de rançon et indices.

A l'époque, son cas est l'un des plus médiatisés. Elle mène un combat acharné, allant même jusqu'à coller des affiches partout dans la capitale pour offrir des récompenses à qui pourrait l'aider. «Les assassins d'Hugo, nous les avons tous retrouvés et fait arrêter nous-mêmes, sauf un qui est en fuite. Mais la police ne s'est jamais intéressé à mon cas, elle n'a jamais rien fait». Isabelle Wallace a mis sa vie entre parenthèses pour se consacrer à son combat, elle a créé une association pour aider d'autres victimes, et recherche toujours le corps de son fils.

Des centaines de Mexicains se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes. Ils préfèrent ne pas prendre le risque de dénoncer le délit à la police et négocier discrètement avec les ravisseurs, parfois avec l'aide d'un négociateur privé. Selon Samuel Gonzalez, l'ancien chef de l'Unité contre le crime organisé, il est impossible de dissocier narcotrafic et kidnapping. «Les narcotrafiquants ont besoin de protection, et ils engagent des durs: des anciens de la police ou de l'armée, ou des kidnappeurs. Ils achètent ensuite la police municipale afin de pouvoir opérer à leur guise sur le territoire». Ainsi, les policiers livrent des informations aux gangs, lorsqu'ils ne leur octroient pas directement une protection.

Une force de police pour rien

Plusieurs rapports récents, élaborés par des services de renseignement militaires et civils, sont accablants : 62% des 450.000 policiers auraient été soudoyés par les cartels. Pas plus tard que le 7 février dernier, le chef de la police de Cancun est incarcéré: la police municipale aurait été infiltrée par les cartels de la drogue.

Felipe Calderón a déjà admis que la police et l'honnêteté ne faisaient pas bon ménage au Mexique. Mais le président mexicain, qui a présenté la lutte contre le crime organisé comme sa priorité, est aujourd'hui au pied du mur. Les gouverneurs de tout le pays se sont réunis à Mexico en septembre dernier pour annoncer un plan en 74 points. Les peines de prison doivent être renforcées pour les kidnappeurs, la formation des forces de l'ordre doit être améliorée, et une nouvelle unité anti-kidnapping doit voir prochainement le jour, avec 300 policiers triés sur le volet.

Néanmoins, rien ne garantit que ces policiers seront plus fiables que ceux des précédentes unités. Le vice ministre de la sécurité publique affirme qu'ils passeront des examens de confiance au cours desquels leur fiabilité sera évaluée. Mais l'efficacité de la méthode reste à prouver... Elena Morera, de l'association «Mexico Unido contra la Delincuencia», est formelle: il faut avant tout que les polices des différents Etats du Mexique travaillent de manière coordonnée, et qu'il existe un véritable processus de sélection : «Aujourd'hui un policier peut être renvoyé de son unité, se présenter le lendemain dans un autre Etat du pays et être recruté à nouveau comme policier, sans que personne ne sache pourquoi il a été renvoyé ou condamné».

Publié sur Slate.fr